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La littérature de colportage...

                                        ...  un phénomène de société méconnu

Autrefois, les marchands ambulants transportaient dans une balle divers articles de mercerie (rubans, mouchoirs, fils, chaussettes) et des objets de pacotille ; on les qualifiait de "merciers vagabonds". Ceux qui portaient leurs marchandises sur un petit éventaire suspendu au cou prirent le nom de colporteurs.

Au XVIe siècle, les marchands ambulants commencent à adjoindre à leurs articles habituels des ouvrages bon marché, de petit format, imprimés sur un papier de mauvaise qualité, parfois enrichis de gravures sur bois. Cette littérature de colportage fut le moyen le plus efficace de pénétration du livre dans le milieu rural et populaire.

 

 

 

La littérature de colportage rassemblait deux catégories d’ouvrages :

  • livres de piété et livres didactiques, d’une part (almanachs, guides de médecine et d’agriculture),

  • livres de divertissement (recueils de contes, de chansons, romans sentimentaux, faits divers horrifiants ou légendes), d’autre part.

Les premiers succès de la littérature de colportage furent Les Quatre fils Aymon, adaptation d’une chanson de geste du XIIe siècle, et le Calendrier des bergers, prototype des almanachs et des encyclopédies populaires. Dans la mesure où ils faisaient aussi office de libraires ambulants, et à l’occasion relais de propagande politique, les colporteurs ont parfois été considérés comme de dangereux prosélytes par le pouvoir. C’est en ce sens qu’ils intéressent plus particulièrement les historiens.

(...)

La Bibliothèque bleue

En 1602, Jacques Oudot, imprimeur à Troyes, lance une série de livrets - imprimés sur du papier bon marché, avec des caractères usagés et illustrés d’anciennes gravures sur bois - qu’il fait vendre par des colporteurs (merciers ou "crieurs") dans toute la France. De petits formats, ils étaient présentés sous une couverture de papier bleu qui servait habituellement à emballer les pains de sucre.

Ils rencontrront une large audience : les livrets imprimés à Troyes seront vendus jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, et le modèle en est repris et imité dans toute la France. On ne connaît pas précisément le nombre d’exemplaires édités (sans doute des millions), et celui des titres est évalué à environ 1 200. Dans une France qui est à l’époque en partie analphabète, le succès de ces livres bleus ne manque pas de surprendre, et différentes explications ont été avancées. Si tout le monde ne sait pas lire, il y a dans chaque village au moins un lecteur qui peut faire une lecture collective ; d’autre part, posséder une de ces brochures, c’est pouvoir se familiariser avec les signes écrits et se réserver une possibilité d’acquérir ce savoir. Les premiers acheteurs ont d’abord été principalement des citadins - la petite et la moyenne bourgeoisie - puis, à partir du XVIIIe siècle, en majorité des ruraux et des paysans.

Les éditeurs s’adaptent aux goûts et aux exigences de ce public, peu habitué à la lecture, en restant fidèles à des formes et des motifs précis, en résumant ou en abrégeant les textes d’origine. Les textes proviennent d’un répertoire déjà édité et pour lequel les droits du premier éditeur sont expirés. Tous les sujets - recettes de cuisine, astrologie, plantes - et toutes les littératures y sont représentés. Si dans le fonds édité à Troyes se trouvent encore certains romans de chevalerie, ils disparaissent à la fin du XVIIe siècle, alors que les contes n’y figurent qu’à partir du XVIIIe et surtout du XIXe siècle (Perrault, Mme d’Aulnoy et Mlle L’Héritier). Des hommes de lettres ou des ecclésiastiques ont parfois rédigé certains livrets sans toutefois les signer, et la plupart des livres bleus sont anonymes. Les imprimeurs et les ouvriers typographes s’improvisent auteurs et utilisent leur propre fonds, puisent dans la tradition orale ou les récits apocryphes. C’est ainsi que l’on trouve au catalogue Juif errantNoëlsJargon de l’argotBonhomme MisèreVie de saint ClaudeMalice des femmesMisère des domestiquesSermons et consolation de cocus

Au XIXe siècle, la Bibliothèque bleue n’est plus seule à proposer des rééditions d’œuvres, et on l’accuse d’être dangereuse et de fomenter les révolutions. Mais il n’y aura même pas à interdire sa publication, car le développement industriel et les progrès de l’alphabétisation provoqueront le déclin de cette littérature.


Le colportage de livres, qui touchait à partir du XVIIe siècle non seulement une clientèle paysanne, mais aussi une bourgeoisie de province, fut très vite réglementé. La littérature de colportage représentait en effet un danger à la fois pour les autorités, en propageant des textes subversifs, et pour le privilège corporatiste des libraires. Une loi de 1628 réserve d’ailleurs le colportage de livres aux anciens imprimeurs, aux libraires et aux relieurs dans l’impossibilité d’exercer leur métier. La Révolution libéra d’abord le colportage de ses entraves, mais le décret du 29 mars 1793 prévoyait des peines sévères contre les colporteurs, les auteurs et les éditeurs d’écrits incitant à la dissolution de la Convention nationale. Sous la Restauration, puis pendant la monarchie de Juillet et au cours du Second Empire, les colporteurs dont le fonds n’était plus seulement constitué de livres de religion, de vies des saints ou de manuels de civilité "puérile et honnête" firent l’objet d’une surveillance accrue. Une loi de 1833 créa une commission chargée d’écarter tous les livres injurieux pour l’Église, contraires aux bonnes mœurs, ou présentant un caractère polémique à l’égard du régime et de ses représentants. À partir de 1852, les colporteurs sont tenus à l’estampillage des livres par la préfecture. Dans les dix millions d’exemplaires vendus à travers la France dominent alors les œuvres sentimentales préromantiques (Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre), les romans de Mme Cottin (Élisabeth ou les Exilés de Sibérie), les aventures mélodramatiques de Ducray-Duminil (Victor ou l’Enfant de la forêt,Lolotte et Fanfan), aux côtés des valeurs sûres de la Bibliothèque bleue, comme l’Histoire de Robert le Diable ou lesContes de Perrault.

Les lois de 1849 et 1852 imposent trois conditions pour la vente d'une publication par colportage: l'examen préalable de l'ouvrage par une commission, l'apposition d'une estampille sur chaque exemplaire, le port d'un passeport spécial par tous les colporteurs.
Les autorités politiques furent toujours tentées de la réglementer, avant de l'interdire purement sous Napoléon III.

Avec l’implantation jusque dans les moindres bourgades de commerçants qui vendaient également des livres, la littérature de colportage commença à disparaître. Elle a toutefois survécu jusque dans les années 1930 dans quelques zones rurales particulièrement difficiles d’accès.

Sources:    http://www.ecoles.cfwb.be/argattidegamond/Contes%20c.htm
                   http://www.lerecoursauxforets.org/article.php3?id_article=41


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